mardi 23 mai 2017

Ce doute qui rebat les oreilles de tout rédacteur

Le rédacteur moyen est composé de 27 % de doutes, de 32 % d'expériences, de 23 % de connaissances, de 10 % d'inspiration et de (j'ouvre mon application de calculatrice, moi rédactrice agréée et non comptable agréée) 8 % d'intuition.

Ces pourcentages peuvent, bien sûr, varier d'un sujet à l'autre ou chez un même sujet au cours d'une carrière quand ce n'est pas d'une journée. 


D'accord pour les autres ingrédients, mais le doute, vraiment?


Oui, le doute. Je dois même avouer qu'au fil des années, il gagne de plus en plus de terrain sur les autres ingrédients. J'ai essayé de breveter une citation, « Plus je vieillis et plus je sais que je ne sais rien », mais on m'a dit qu'un gars l'avait fait avant moi. Pfff... un autre rédacteur assurément.


Source : stocksnap.io


Des preuves


Bon, bon, vous réclamez des preuves... 

D'accord. Regardez l'introduction. J'ai encore une fois saisi mon téléphone pour vérifier avec peu de succès si la structure « composé de ... % » passait le test. Mon rédacteur interne m'a proposé de modifier le début en y allant d'un « la composition moyenne d'un rédacteur est de... », mais j'ai jugé la formule un peu lourde. 

Ensuite, je me suis angoissée avec l'accord des ingrédients... Connaissance exigeait un pluriel à grands cris, inspiration et intuition préféraient le singulier avec modestie, mais doute et expérience? Après une courte cogitation, j'ai opté pour le pluriel, compte tenu de la quantité ahurissante de connaissances englouties pendant mon baccalauréat en rédaction et mes certificats en traduction et en création littéraire, quantité n'ayant d'égale que la somme des doutes qui m'assaillent régulièrement depuis le jour où j'ai commencé ma carrière de scribe.

À en juger par l'angoisse qui taraude aussi mes confrères et mes consoeurs lorsqu'ils sont invités à communiquer par écrit avec d'autres membres de la profession, mon « cas » est loin d'en être un. Les guides de rédaction se veulent d'ailleurs relativement rares, un fait surprenant pour un métier consistant en résumé à savoir « quoi dire et comment le dire » à un destinataire ou à public donné. Seulement la rédaction d'un article de ce blogue génère une masse de travail et de stress non négligeable. Chaque mot est soupesé, chaque phrase reformulée. 

Vous croyez qu'il s'agit d'une exagération? Dans les dernières minutes, j'ai hésité à utiliser l'expression « non négligeable », lui préférant  les adjectifs « ahurissant » ou « surprenant » avant de remarquer que je venais de les caser dans les phrases précédentes. Il aurait été facile de me rabattre sur un synonyme dithyrambique, mais l'esbroufe me hérisse. Je préfère la philosophie de l'écrivain Isaac Asimov, lequel visait à se faire comprendre clairement avant de « faire du style ». Aussi, j'ai tripoté à nouveau mon téléphone, cette fois pour vérifier la définition de « scribe » et de « confrère » ainsi que l'orthographe de « rabattre » et « esbroufe ». 


La genèse du doute


Oui, « rabattre »! Ses 23 % de connaissances permettent au rédacteur moyen de savoir et de partager avec une satisfaction non dissimulée que l'expression « rabattre les oreilles » est fautive, les oreilles devant plutôt être « rebattues ». C'est ce qui l'incite à estimer l'expression « se rabattre sur » extrêmement suspecte! Voilà la genèse de tout ce doute, qui enfle au fur et à mesure que s'empilent les connaissances (misère, aurais-je dû laisser « doute » au singulier dans l'introduction finalement?).

Je disais donc que ce doute continuel (je viens de vérifier « genèse » pour trouver où lui coller des accents) rend la communication entre rédacteurs particulièrement anxiogène. N'est-ce pas un paradoxe à la fois amusant et désolant? Des spécialistes de l'écriture qui hésitent à pratiquer leur métier entre eux! Ils sont pourtant particulièrement friands des textes qui traitent de leur réalité. J'en ai pour preuve l'enthousiasme avec lequel ils me parlent de ces chroniques... avant d'ajouter « il y a une petite coquille, je crois, dans le troisième paragraphe ».

Oui, vous retrouverez ici un budget d'au moins une coquille par article (les joies de taper sur un ordinateur portable en équilibre sur les genoux dans la pénombre du salon sans accès au logiciel Antidote). 

Non, je ne m'en inquiète pas : l'exercice me garde humble et me procure plus de satisfaction que de contrariété (hum, pluriel ou singulier?). Le doute est à la fois ennemi et motivation dans cette profession.

Et qui a répandu cette rumeur qu'un bon rédacteur doit pondre un excellent texte au premier jet? Comme pour n'importe quel art, la rédaction se veut un travail en plusieurs étapes. Nous y reviendrons plus tard. Alors, à bas les complexes et laissez votre 100 % de talent s'exprimer joyeusement!

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